Passion

Hier soir, alors que je passais en revue les photos que j'avais prises la veille pour mon dossier Bedons, je me suis attardée sur celles de Passion (là, je vois une fugace lueur d'étonnement dans votre oeil : «euh... Passion est un étalon, non ? C'est quoi le rapport avec les ventres distendus et gravides de tes juments ???).

J'étais allée dans le parc de Passion et Augustine pour prendre des clichés de la belle et de son ventre (photo ci-contre).

Durant la séance de prise de vues et comme à son habitude, Passion me fait des bisous dans le cou... Je ne peux pas résister quand Passion me fait des bisous dans le cou... Cela me déconcentre, me fait rire et, oui je l'avoue, cela me donne parfois même des frissons. Chatouilles ou émotion ? Les deux, probablement.

Je ne peux pas résister à ce cheval. Dire que, hier encore (dans le cas présent, hier étant le printemps 2003; Einsten avait raison : tout est relatif !), il n'était qu'un adorable, mignon, charmant, irrésistiblement croquignolet (et non, ce mot n'est pas un isabellisme, il existe bel et bien dans le dictionnaire !) poulain nouveau-né :

Déjà charmeur, déjà tendre, déjà absolument beau.

Passion hier, Passion aujourd'hui (ci-dessous) :

Passion le papa du bébé qu'Augustine porte avec bonheur. Ce ne sera pas le premier bébé de Passion, mais ce sera le premier pour lequel il aura assumé son rôle de papa comme il l'aurait fait dans la nature : en accompagnant la parturiente tout au long de sa gestation, en la protégeant, la câlinant et acceptant (subissant ?) ses caprices, attentif à ses moindres désirs... J'avoue un tout petit peu d'anthropomorphisme, mais cela correspond à l'énergie, la synergie que ce couple d'amoureux dégage... Probablement que Passion élèvera aussi son enfant. J'espère que cela sera possible et cela dépendra de son attitude et de comment se sera passé le poulinage. N'oublions pas qu'Augustine fête cette année ses 22 printemps...

Je disais donc que Passion, fidèle à son habitude, vient me distraire de ma tâche. Il a envie de jouer, de faire le beau. Il adore être pris en photo. Et je ne peux pas résister à ce cheval.

Ci-dessus, un portrait de type «parfait et officiel» qui montre le Monsieur (n'oublions pas la majuscule) dans toute sa splendeur et sa dignité. Oui, je trouve que c'est un bonne photo, mais, pour moi, elle a autant d'intérêt qu'une photo d'identité... elle décrit un physique, pas une âme.

La photo ci-dessous a été prise quelques secondes plus tard et elle me plaît beaucoup plus !

Il y a dans ce portrait un petit quelque chose qui me fait reconnaître Passion, me donne un aperçu de qui il est. Cette oreille légèrement tournée me parle, change la physionomie du sujet, me rappel sa personnalité : je suis beau, mais aussi espiègle !

Je sais que perds ici probablement mes lecteurs qui ne fréquentent pas les chevaux avec la même assiduité et la même passion que les miennes. Avec tout le respect que je leur voue, ces personnes ne verront certainement que cette différence entre les deux images : dans l'une le cheval a les deux oreilles pointées vers l'avant, dans la seconde, une oreille est légèrement tournée dans une direction différente. Point. Ce n'est ni une mauvaise ni une bonne chose, c'est comme ça.

Pour moi, pour les initiés, nous lisons nos chevaux à leur manière : par leur langage corporel, leur posture, leur mimique et par l'énergie qu'ils dégagent. Le vocal vient à la toute fin de cette liste.

Tout le monde, humains comme bêtes, s'exprime d'abord par le corps. Nous perdons cette faculté de lire l'autre, ou, plutôt, nous oublions cette lecture instinctive et innée au profit des mots, des discours. Ou simplement parce que nous ne nous donnons pas la peine de le faire, tout occupés que nous sommes à remplir nos obligations professionnelles, immergés dans le paraître - le pas être - au détriment de l'Être.

De la même façon que nous «savons» instinctivement quand une personne que nous fréquentons assidument et/ou que nous aimons va bien ou pas, je saisi l'humeur et l'état de santé de mes chevaux.

Dans le monde des humains, les synergologues décryptent «scientifiquement» les gestes inconscients des autres, souvent au profit de futurs employeurs, de politiciens, ou comme support aux psychologues*. Selon les synergologues, chez l'humain, le langage non vocal représenterait jusqu'à 90% de la communication. C'est exactement pareil chez les chevaux. Je présume que dans le règne animal, le fait que leur esprit et leur conscience ne soit pas envahis par les mots les obligent, en quelque sorte, à être complètement attentifs et présents. Chez les chevaux, qui sont naturellement des proies, cette attention peut faire la différence entre la vie et la mort.

Étrange où l'observation de quelques photos peut mener. Je pensais écrire un petit mot sur ma passion pour Passion, sur le bonheur sans cesse renouvelé que m'apporte mon quotidien avec mes chevaux, et me voilà en pleine réflexion sur le langage, l'être, la conscience... Il y a tellement à dire. J'en ai tellement à dire ! Je sens qu'il y a là matière à quelques pages de réflexion, matière à y dédier un blog entier...

Alors je vous laisse sur la photo qui me parle le plus de Passion :

Il faut voir cette photo en pleine grandeur, cette version ne lui rend pas justice.

C'est une photo qui parle, me raconte ce cheval. Me dit qu'il est beau, noir et chevelu, bien sûr. Mais elle me parle aussi de tendresse, d'attention, d'une certaine forme de vulnérabilité; un terme que je n'aurais pas, il y a quelques secondes, songé à employer en parlant de Passion, ce majestueux étalon noir !

Cette photo me rappelle aussi une page de son histoire : un petit bout manquant à la lèvre inférieure, douloureux souvenir d'une morsure de Chimo, remettant à sa place un poulain d'un an insolent...

Cette photo est - à mon regard - l'un des plus beau portrait de Passion.

*Le langage universel du corps. TURCHET, PHILIPPE. Éditions de l'Homme. Février 2009.