Je ne suis pas un cheval.
Je ne suis pas un cheval et mes chevaux n'ont aucun doute à ce propos.
Sauf parfois les très jeunes poulains pour qui je suis un des premiers êtres qu'ils rencontrent, dès leur naissance. Et je vous assure que la confusion ne dure pas.
En effet, je m'intéresse énormément à l'éthologie et à l'approche dite éthologique du travail des chevaux. Et ce, non parce que cette approche est à la mode, mais parce que : qui côtoie quotidiennement des chevaux et particulièrement les chevaux qui ont la chance de vivre en troupeau; qui s'autorise à passer des heures à les observer, sans montre et sans idées préconçues; cette personne ne peut qu'apprendre, grandir... et constater qu'elle n'est pas un cheval.
Les chevaux sont des animaux grégaires, qui ont un mode de communication élaboré et de fascinantes relations équines à la hiérarchie explosée. Si vous aimez les chevaux, que vous avez la chance d'en côtoyer, je vous invite à lire Éthologie, l'équitation naturelle et ludique, de Danièle Gossin (Éditions Vigot), un petit livre de moins de cent pages, mais qui vaut son pesant d'or. Mme Gossin est une authentique éthologue, dans le sens que c'est un chercheur qui a fait son doctorat en éthologie sur les chevaux; l'éthologie étant la science qui étudie le comportement. La paternité de l'éthologie revient à Konrad Lorenz, dont les ouvrages grand-public sont non seulement très intéressants, mais souvent drôles.
À ne pas confondre avec l'éthologie, l'équitation éthologique, les
chuchoteurs et autres méthodes
douces sont à la mode. Et c'est tant mieux pour les chevaux, car ils vivent leur lot de vicissitudes, de brutalités et d'incompréhension depuis qu'ils sont
la plus noble conquête de l'Homme (
sic). Dans ces approches nouvelles,
- mais qui ne sont finalement que le produit du bons sens, du coeur et de l'observation, assez fidèle à ce que prônait Xénophon dans son Traité sur l'équitation, publié près de 400 ans avant J.-C ! -, ces nouveaux maîtres préconisent de se faire reconnaître comme l'élément alpha du troupeau, le cheval dominant, bla bla bla, afin que le cheval nous respecte et nous obéisse "naturellement". Pour se faire, ces maîtres nous disent que nous devons agir comme le ferait le cheval dominant.
Je ne suis pas d'accord. Je pense qu'il faut agir comme un leader passif, le genre d'individu que les membres d'un troupeau décident de suivre et de fréquenter. Un leader que l'on respecte non par crainte, mais par respect. La différence entre la dominance et la domination. Et je ne suis pas un cheval.
Non. Je ne suis pas un cheval et mes chevaux le savent très bien ! Et je ne pense pas qu'ils s'attendent à ce que j'agisse comme un cheval. Je suis un humain, plein de bonne volonté, qui désire communiquer avec ses chevaux. Je veux que mes chevaux soient polis et bien élevés. Je veux qu'ils soient gentils avec les humains en général. J'ose espérer que je parviens à établir de solides liens d'amitié avec eux, liens qui, tacitement, impliquent respect, partage et compréhension mutuelle.
Et je crois que mes chevaux désirent communiquer avec moi. Parce que je leur offre cette possibilité. Parce que je les écoute. Parce que j'admets me tromper. Par ce que j'accepte de me fier à mes perceptions et de mettre en veilleuse toute l'accumulation des "c'est comme ça que cela se fait", "c'est comme ça que ça marche", "mon père faisait comme ça et mon grand-père aussi", "moi, je connais ça, les chevaux !" sous lesquels le monde des chevaux croule (et s'écroule). Je ne pense pas savoir. Je ne pense pas détenir la vérité. Simplement, je vis avec des chevaux au quotidien. Des chevaux curieux, intelligents, joueurs, parfois polissons, mais toujours absolument attentifs et allumés. D'excellents professeurs.
Nombreux sont les chevaux qui s'éteignent au contact des humains. Ils se lassent à tenter de les comprendre et finissent généralement par obéir par automatisme, par lassitude, sous la coercition, sans amitié et sans partenariat. Peu se révoltent. Ceux là sont classés dangereux, têtus, mauvais.
J'estime que les chevaux n'ont pas choisi de venir vivre avec les humains. De les servir. Je ne pense pas que cela soit à eux de s'adapter à nous, mais que c'est un travail réciproque. Nous devons les aider à faire de mauvaise fortune, bon cœur; et nous avons le devoir de profiter de notre bonne fortune pour faire preuve de bon cœur.
Je ne suis pas un cheval. Mais je peux me servir de ce que je sais, ce que les chevaux m'apprennent, pour établir un canal de communication fonctionnel. De la même manière que le langage des signes nous permet de communiquer avec des personnes sourdes, nous devons développer un langage pour communiquer avec nos chevaux. Le langage signé n'est pas inné, ni pour la personne sourde ni pour son interlocuteur entendant. Il faut établir les règles, s'entendre sur les significations de chacun des signes, puis les apprendre. Aux débuts balbutiants succèdent rapidement rapidité et fluidité. Plus on apprend à connaître notre interlocuteur, plus nous entendons les subtilités du message, message appuyé par le regard, des mimiques, des réactions.
Mes chevaux savent que je ne suis pas un cheval. Si je tente de me faire passer pour un cheval, ils me verront comme un humain qui essaie de se faire passer pour un cheval. Je présume que certains en seront amusés, d'autres interloqués... Mais dans tous les cas, mon effort sera certainement vain. Il vaut mieux établir des règles de communication qui prennent en compte les attitudes et comportements naturels des chevaux, leurs habilités, leur mode de fonctionnement cognitif. Si je fais des efforts pour comprendre leur point de vue, nous devrions réussir à établir un pont entre nos deux cultures. Un nouveau langage que chacun de nous pourra utiliser.
Mark Rashid est un de ces éducateurs "doux" - et ce, même si c'est un cow-boy !
* Il est aussi, probablement, l'un des plus humbles (dans son attitude) et certainement l'un de ceux pour qui j'ai le plus de respect. Son mot d'ordre est de travailler
avec les chevaux, non
contre eux. Dans une entrevue - que je traduis ici librement -, Mark Rashid faisait remarquer qu'il y a 15 ans de cela, nous n'entendions jamais d'un cheval qu'il était irrespectueux (un terme très à la mode aujourd'hui
nda). Un cheval peu être confus, inquiet, sur la défensive ou faire simplement ce qu'il a appris. Mark n'a jamais vu un cheval qui sait ce qu'il doit faire et qui ne le fait pas intentionnellement. Il nous faut donc être attentif à ce que nous enseignons, aux gestes que nos posons comme à ceux que nous ne faisons pas, au message que nous envoyons.
Le but du jeu étant la communication et le plaisir, entre un humain et un cheval.
*** Merci à mon amie Pascale Simard pour les photos ! ***
Oui, c'est moi sur les photos... avec Passion, Moonlight Lady, Alya, puis Pritcha, Luna et encore Moonlight Lady... Curieux, va !
*Je me mets une note pour penser à faire une chronique sur le mythe du cow-boy, et de l'équitation western, mythe particulièrement entretenu par les Européens romantiques...