12 mai 2012

Leçon de désensibilisation

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Journée radieuse, fraîche à souhait, mais avec un vent encombrant...

De la fenêtre du salon, je contemple les chevaux, me demandant lequel sera ma «victime» aujourd’hui. En effet, depuis six semaines, lorsque mes activités me le permettent, j’essaie d’avancer les travaux à faire autour et dans la maison, tout en me consacrant à au-moins un cheval par jour, évaluant le travail à faire avec chacun, les petites réticences, les acquis, les besoins. En gros, je me fais plaisir tout en préparant le terrain pour l’arrivée des stagiaires. Il me sera ainsi plus facile de leur assigner les chevaux à travailler et les missions à accomplir; que cela soit de ne pas avoir peur d’un drapeau, de se faire doucher sans broncher, de respecter notre bulle (on peut faire des bisous sans écraser les pieds de l’objet de notre tendresse, ce qui est fortement apprécié quand le bisouteur pèse quelques centaines de kilos et que le bisouté possède des orteils démunis de sabots...), d’améliorer le travail à pied ou porter son premier cavalier.

Après trois jours gris, froids, pluvieux et venteux, ce soleil est inspirant, malgré le vent rébarbatif... et si justement j’utilisais le vent comme allié pour désensibiliser Passion au drapeau ? Car mon cher gros a décidé qu’il n’aimait pas les tissus qui l'effleurent et, conséquemment, les tapis de selle. Je n’ai aucune idée d’où lui vient cette frayeur, mais il est temps d’y remédier.

J’ai appris que la meilleure façon d’aider un cheval à passer par dessus une frayeur et de l’amener à réfléchir est de le mettre en liberté dans le rond de longe, ce qui lui permet de céder à son instinct de fuite, tout en n’échappant pas au «monstre» qui l’effraie. Le but n’étant pas de le terroriser ni de le pourchasser, mais de le faire réfléchir à la situation, une fois que la décharge d’adrénaline ne fait plus effet. Et un cheval qui réfléchit est un cheval qui apprend et qui évalue la situation de son point de vue, plutôt que de se faire imposer une situation. C'est bien plus agréable et plus sécuritaire, tant pour le cheval que pour son humain.

J’ai aussi appris que tous les chevaux n’ont pas le même tempérament, la même curiosité. Comme nous, ils ont leurs qualités et leurs défauts. L’avantage de Passion est que, comme sa maîtresse (qui se ressemble s’assemble ?), il est gourmand. Il est aussi joueur et intelligent. J’ai décidé d’utiliser ces atouts en ma faveur.

Je suis allée chercher le drapeau - une vieille taie d’oreiller blanche clippée sur une sorte de badine - ainsi que le bare-back pad, un tapis dos-nu qui est une espèce de tapis de selle coussiné munis d’une sangle et qui permet de monter avec les mêmes sensations qu’à cru, mais en conservant des fesses sèches et exempts de poils. J’ai planté mon drapeau dans un cône au milieu du rond de longe et installé le pad sur la barrière. Une fois ma poche remplie de bonbons (gros morceaux croquants fait à base de luzerne, huile de canola et autres délices équins), je suis allée chercher Passion dans son pré. Évidement, Akilédou, Camino, Hélios et Baabul étaient très déçus que je ne les choisisse pas. Il a fallu que je m’arrête à chacun pour lui faire un câlin, étapes obligées d’une bonne séance de travail. Ensuite, Passion ayant obligeamment plongé sa tête dans le licou, nous voici en route pour l’aventure.

Au beau milieu du rond, le drapeau claque au vent. Il attire l’attention de Passion, sans l’empêcher de rentrer calmement dans l’enceinte. Je le libère et l’observe. Il décide de marcher un peu, surveillant le drapeau du coin de l’oeil. J’estime que son degré d’inconfort est de 3 ou 4 sur une échelle de 10. Je lui donne encore une minute et, oubliant le drapeau, son attention est finalement attirée au loin par Hélios, que j’ai mis en liberté dans le jardin par la même occasion. J’en profite pour m’avancer vers le centre et prendre le drapeau en main, l’élevant un peu. La tête de Passion s’élève  d'autant et il part au petit trot. Je reste sur place, m’arrangeant pour que le drapeau prenne bien dans le vent et s’agite, sans que j’ai à me déplacer. Je me suis mise dos au soleil, comme ça, je peux surveiller Passion, lorsqu'il passe derrière moi, en regardant son ombre, sans avoir à me retourner. Je respire, détend mes épaules, le laisse tourner un tour, deux tours... au deuxième tour, il donne un coup de cul libérateur de frustration. Le troisième tour se fait au pas et il s’arrête face à moi. Brave Passion, ça a été beaucoup plus rapide que je m’y attendais. Je le félicite et l’encourage à venir me voir. Il hésite, réfléchit, puis s’approche. Il effleure le drapeau du bout du nez et se voit offrir un bonbon : alors ça c’est chouette ! J’agite un peu le drapeau et il recule. Dès qu’il s’arrête, j’arrête aussi et l’encourage à revenir, ce qu’il fait assez vite. Un bonbon, puis je commence à le toucher avec le drapeau. Il n’est pas certain d’apprécier, mais à chaque signe de bonne volonté de sa part et de détente, il a droit à des félicitations et à un bonbon. Soudain, il recule d’un pas, me regarde intensément et je pourrais jurer que je l’ai vu sourire : il vient résolument à moi, fait exprès de passer dans le drapeau, me laisse lui passer le drapeau sur le dos, et tout le corps, se retrouve avec une taie d’oreiller sur la tête, le sourire aux lèvres gourmandes : il a compris ! S’il suffit de se laisser décoiffer par un bout de tissu pour avoir droit à  des félicitations (orgueilleux !) et à des bonbons, allons-y de bon cœur !

Je fais ensuite le même exercice avec le pad. Il ne se pousse même pas, mais tressaille un peu au contact. Cela lui prend moins d’une minute pour comprendre que le principe est le même : je reste zen et tranquille pendant qu’on me jette ce pad, d’un côté comme de l’autre, sur le dos, le cou, les fesses, alouette ! Et les câlins et les bonbons abondent. Il sait aussi, depuis longtemps, qu’il ne faut pas quémander et attendre l’ordre pour prendre les bonbons, mais dans son enthousiasme, il oublie quelques fois et il a droit à un rafraîchissement de mémoire.

Super séance, je suis ravie et Passion semble content aussi. Je l’emmène brouter un peu dans le jardin, en profite pour lui remettre le pad sur le dos alors qu’il broute; ça se passe bien. Mission accomplie pour aujourd’hui !

  • Note  de l’Auteur : Et non, il n’y a pas de photos. Lorsque je travaille avec un cheval, il mérite toute mon attention, tout le temps. Je ne peux pas être à la fois photographe et acteur, et si personne n’est disponible pour prendre des photos, il n’y en a tout simplement pas. D’où le silence de ce blog ces derniers temps. Finalement, j’ai pensé qu’il valait mieux donner des nouvelles sans photos, que laisser un grand vide.



5 commentaires :

  1. Raaaaah ! Mais pourquoi c'est si loiiiiin !
    Bravo Passion !

    J'adore ces textes, j'imagine tout et je me retrouve de nouveau au ranch... *soupir*

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  2. beau travail! Texte tres intéressant. Bravo

    mamili

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  3. Si je comprends bien, la clé du succès est de rester zen, compréhensive et de laisser venir à nous avec amour...et une poignées de caresses et de bonbons (selon le bedon du cheval). J'aime beaucoup cette approche!!!À oui, j'oubliais, faire respecter ma bulle (hi!hi!)Mais tout cela est vite dit mais alors la pratique c'est autre chose. Camille

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  4. ha, enfin ! je me demandais si le ranch n'avait pas fermer ses portes... Bon, j'ai l'explication, je suis moi aussi tranquillisée (je peux avoir un bonbon ?).
    Faut embaucher quelqu'un pour les photos ! je postule !

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    1. Pourquoi pas ? Nous aurons un peu de place à partir de la fin juillet, surtout que nous avons rajouté deux grands lits au "grenier", donc nous pouvons héberger encore plus de monde ;o)

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