28 janvier 2013

Poussière de fée

J'aime tenir mon blog. Il est mon exutoire et il permet de lier mes plaisirs et mes passions. Mes billets sont à 99% spontanés et non-prémédités, si je puis le dire ainsi.

Parfois, très rarement, je triche un peu : il m'arrive exceptionnellement de préparer des billets qui seront publiés plus tard, car je peux programmer à l'avance leur publication automatique.

Lundi dernier, sachant que j'avais une semaine très chargée devant moi, je m'accordais quelques heures de loisir afin de mettre mon blog à jour et de préparer quelques billets d'avance. Je n'avais alors aucune idée des évènements dramatiques qui allaient bouleverser ma semaine si bien planifiée...

L'accident de Chaïma est survenu mardi. Pendant cinq jours, nous avons lutté coeur à coeur avec elle, pour sauver notre princesse devenue guerrière. Car elle s'est battu, Chaïma les beaux yeux, avec coeur, constance, courage et une patience d'ange qui a conquis et époustouflé tous ceux qui sont intervenus pour la sauver.

Pendant ce temps, mes billets se publiaient automatiquement... Ce que j'avais oublié et qui m'a fait un choc lorsque j'ai repris le clavier pour annoncer le départ de Chaïma. Insensible au drame qui se jouait, l'ordinateur exécutait platement sa tâche.

∞ ∞ ∞


Mardi 22 janvier. Il fait très froid et venteux. Le thermomètre s'obstine à ne pas vouloir indiquer plus de -20°C et les météorologues nous annoncent une semaine à l'avenant. Par contre, le ciel est parfaitement dégagé et la chaleur du soleil est perceptible si on se tient à l'abri du vent, ce que les chevaux savent bien. Ils ont leur coin favori, au bout de leur parc, là où l'action de la haie brise-vent est renforcée par de grands arbres et une maison voisine. Un coin bien ensoleillé et relativement protégé du vent nord-ouest glacial. Ils aiment s'y allonger pour faire la sieste, étendus de tout leur long, s'imbibant de soleil. Ce mardi, vers 11h, quand je vais les voir, alors que les matriarches ont choisi de rester devant le grand abri, près du foin et de l'eau, les plus jeunes font la sieste, tout au fond, tout près de la clôture; trop près de la clôture...

Quelques heures plus tard, je retrouve Chaïma le postérieur gauche coincé par le câble de la clôture. Elle s'est probablement allongée trop près et elle a dû se rouler, passer en dessous... qu'en sais-je? Cela fait huit ans que nous utilisons ces clôtures et nous n'avons jamais eu le moindre accident, contrairement à toutes celles que nous avons essayées auparavant.

Je me précipite, coupe le câble et la libère de son entrave. D'après les marques au sol, elle s'est beaucoup débattue. Elle semble épuisée, elle tremble (de stress? de douleur? de froid?). Son pied reste plié vers l'arrière... est-il cassé? gelé? simplement ankylosé? Elle tente de se lever, mais les postérieurs ne suivent pas et elle retombe lourdement. Mon coeur se serre et j'espère que ce n'est que de l'ankylose et des courbatures. Je tâte et examine sa jambe, observe ses constantes, puis je téléphone au vétérinaire lui décrivant la situation. J'appelle ensuite mon frère, il y a urgence et je suis seule. Puis je cours à la maison pour m'habiller plus chaudement. Je rafle les couettes qui sont sur les lits et les apporte à Chaïma. Quand je reviens, elle est toujours couchée, mais sur l'autre flanc. Elle a donc tenté de se lever... Je la couvre avec les couettes en duvet, la caresse, la tâte partout à nouveau. Ses doux yeux ne reflètent aucun affolement, mais il est clair qu'elle a mal. Ne serait-ce que si le sang s'est remis à circuler dans sa jambe... Comme la nuit tombe, j'approche le tracteur et j'allume les phares pour illuminer la scène; ainsi, mon frère et le vétérinaire pourront nous localiser au fond du champ...

Mon frère arrive et nous réévaluons la situation. J'avais imaginé que nous pourrions aider Chaïma à se lever et la soutenir jusqu'à l'écurie. Manifestement, elle est toujours incapable de se tenir debout et j'ai peur d'aggraver son état en l'y forçant. Je regarde l'heure et constate que Max, mon voisin, doit avoir terminé la traite de ses vaches. Je l'appelle à la rescousse. Il suggère de transporter Chaïma avec les sangles qu'il utilise pour transporter une vache blessée en la relevant et la suspendant à l'aide de la pelle du gros tracteur. Il fait tellement froid, que je pense que nous n'avons rien à perdre à essayer.

Max arrive avec les sangles, nous les passons sous Chaïma qui nous laisse faire. Quelques ajustements et voici la princesse qui s'élève doucement dans les airs... Elle s'agite un peu quand elle sent la pression sous son ventre et son sternum, mais se calme aussitôt. Je la soutiens, la caresse, lui parle, lui explique ce que nous faisons. Elle est attentive et calme. Nous commençons à rouler vers l'écurie.

Quand nous passons près des autres chevaux, Chaïma relève la tête et hennit. On dirait presque qu'elle leur dit : Hey! Les copines! Regardez! Je vole! Cela m'encourage. Nous parvenons devant l'écurie au moment où les vétérinaires arrivent. Nous essayons de poser Chaïma sur ses pieds, en espérant que les sangles l'aideront à la maintenir. Mais elle ne parvient toujours pas à se tenir debout. Nous la remontons, le temps de lui faire un lit de paille sur lequel nous la déposons délicatement. Elle est toujours dehors, mais au-moins sommes-nous à l'abri du vent, avec de la lumière et un vétérinaire...

Après auscultation, plusieurs inquiétudes tombent : Chaïma n'est pas en hypothermie, c'est plutôt la douleur qui la fait trembler. Elle n'est pas en état de choc, le pied n'a pas l'air cassé, son coeur bat un peu vite, mais pas autant qu'on aurait pu le craindre. On lui administre des antidouleurs puissants et des anti-inflammatoires. Il faut maintenant parvenir à la rentrer dans l'écurie... À cinq, nous parvenons à la tirer/pousser. La paille aide à faire glisser tout en amortissant les chocs. Brave Chaïma; elle se laisse faire, le regard confiant. Quand elle se défend un peu, il suffit que je lui demande de rester calme pour qu'elle se détende. Les vétérinaires sont sidérés par tant de calme et de confiance. Cela les encourage, nous aussi.

Des radios sont prises qui nous confirment que rien n'est cassé. Les vétérinaires réservent leur pronostic; a priori, ses blessures aux jambes ne sont pas mortelles. Longues à guérir, mais gérables, si elle se tient debout. Un cheval n'est pas fait pour rester couché. Il s'écrase sous son propre poids, tout en risquant les coliques, car son transit intestinal ne peut se faire aisément. Nous pouvons l'aider en la retournant au maximum toutes les quatre heures, en la massant, lui faisant bouger les membres, en s'assurant qu'elle boive, mange etc. Mais il faudra qu'elle se lève... Ma première nuit de veille commence.

Le lendemain, la deuxième équipe de vétérinaires arrivent. Ils sont six à notre secours. Tous adorables, compatissants, efficaces. Tous conquis par la douceur et la volonté de la princesse, par l'harmonie qui règne entre les âmes du lieu; en effet, Hélios veille sur sa princesse, avec douceur il la lèche et la veille. Yoda, Jules et Pinta (les chats) dorment sur le dos de l'un ou l'autre des chevaux, ou tout contre. Frimoos veille aussi, allant régulièrement donner un coup de langue sur le nez de sa copine. Chaïma est ceinte d'amour, de tendresse, d'attention, de soins... mais elle ne parvient toujours pas à se tenir debout. Je réalise que ses chances de s'en sortir sont minuscules, mais Chaïma, les vétérinaires et moi - puis André, prévenu et enfin de retour - nous décidons de lui donner toutes ses chances, même si les probabilités qu'elle s'en sorte sont faibles. Du moment qu'elle ne souffre pas (trop) et que son état reste stable ou s'améliore, nous poursuivrons nos soins. Les vétérinaires nous assurent qu'elle ne sera pas mieux soignée à l'hôpital que chez nous. De plus, si elle doit partir, je veux que cela soit à la maison, avec nous...

Nous apprenons à gérer les solutés et les cathéters, suivant à la lettre les instructions, ne quittant pas des yeux notre princesse. Dès que l'un de nous deux doit s'éloigner, Chaïma appelle, s'inquiète. Nous assurons des tours de garde, car il faut bien s'occuper des autres chevaux et de nous, de temps en temps.

Jeudi passe, ni mieux ni pire, Chaïma est toujours égale à elle-même et si elle semble frustrée de ne pas parvenir à se lever, elle prend son mal en patience; nous persévérons. Vendredi, les premiers signes de problèmes apparaissent. Les urines se teintent de rouge, indiquant un début de myopathie (dégénérescence des tissus musculaires et neurologiques). Chaïma commence à s'agiter. Heureusement, des amis sont là pour nous aider. Les prochaines heures seront de plus en plus difficiles.

Dans la nuit de vendredi à samedi, il est clair que le combat est perdu. J'appelle le vétérinaire qui me dit que je peux donner les doses de tranquillisant que j'ai en main, ainsi qu'augmenter les doses d'antidouleurs en attendant qu'il arrive. Nous savons que c'est la fin, notre seul objectif est qu'elle se passe le plus doucement possible.

Samedi matin, dans nos bras et sous nos caresses, Chaïma les beaux yeux, princesse guerrière, s'en est allée galoper au paradis des chevaux.

∞ ∞ ∞





 




11 commentaires :

  1. trop de larmes pour commenter....Tres beau blog,
    simple,nature explicite mais combien poignant
    courage mes enfants
    mamili

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  2. Je suis si triste, j'aurais tellement aimee la revoir... Je pense tres fort a vous!

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  3. Je suis toujours sans voix mais de tout coeur avec vous

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  4. Les larmes aux yeux, la gorge serrée...

    Belle et brave Chaïma... <3

    Mon coeur est avec vous.

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  5. Les yeux mouillés je lis ce dernier coup de coeur de ta belle PRINCESSE.
    Je m'estime privilégier d'avoir partager ses derniers soupirs avec vous.
    Il y a une constellation du nom du Petit Cheval dans l'hémisphère nord qui
    grand besoin de ton énergie...alors va ma belle et galope vers ces étoiles.
    Camille

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  6. Mon coeur pleure avec vous deux et je vous embrasse bien fort.

    Maman Louise

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  7. Une pensée amicale pour vous, Je suis toute triste maintenant que j'ai lu ça...

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  8. je n'étais pas venue sur le blog depuis quelques jours... je pleure, alors même que je ne la connaissais pas... courage à vous tous ...

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  9. Je consulte votre blog depuis longtemps déjà et ce drame m'a bouleversé. Ayant déjà vécu un accident semblable il y a longtemps avec ma jument qui s'était débattue au point de se "scier" un postérieur, je peux comprendre votre état lors de l'accident et dans les jours suivants. Dans notre cas, malgré le pronostic très pessimiste du vétérinaire à cause des risques d'infection dans l'os, elle s'en est sortie après plusieurs jours d'incertitude et des mois de soins. Elle est décédée il y a 2 ans à presque 30 ans. Je vous aurais souhaité la même chose...

    Toutes mes sympathies pour cette grande perte, elle était magnifique...

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  10. Je suis désolée pour vous et très attristée par cette nouvelle.
    Je suis de tout cœur avec vous.

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  11. MERCI !
    Merci beaucoup pour tous ces gentils mots et la compassion.
    Merci de nous accompagner.

    Isabelle, André et tous les Namaspamoosiens

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