25 mai 2011

Mystérieux miracle

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Une naissance tient du mystère et du miracle.

La naissance d'un poulain est un double miracle : comment un bébé aussi grand peut-il glisser par un passage aussi étroit et ce sans dommages ? Sans se coincer ou se bloquer ? Comment fait-il pour que, en moins d'une heure, il passe d'un milieu liquide, chaud et sans avoir à se soucier de respirer ou de se nourrir, au dur plancher des chevaux, debout, respirant et tétant ? Miracles, mystères...

Et la maman a bien du mérite également. Elle a beau avoir les ligaments qui s'assouplissent afin d'assurer une certaine élasticité des articulations du bassin, les contractions sont puissantes, épuisantes, la douleur intense, avec quelques déchirures et contusions en prime. Pas étonnant que l'on parle de labeur. Quel ouvrage titanesque ! Quels miracles ! Et quel bonheur teinté d'inquiétude que de suivre et accompagner les épreuves de la parturiente. Quel privilège aussi. Et quelle leçon d'humilité.

Voici le récit et quelques images de ces instants magiques, car le bonheur est beaucoup plus savoureux lorsqu'il est partagé... :


Vendredi, fin de journée. Le temps est lourd et des alertes d'orages violents et de crues subites interrompent régulièrement le programme de musique classique qui joue à la radio de l'écurie.  Au sud-est, sur les montagnes du Vermont, de l'autre côté de la frontière, nous pouvons observer un ciel noir et zébré d'éclairs. Il souffle un vent soutenu qui agite les arbres et les chevaux. Je ne peux m'empêcher de scruter le ciel, souhaitant que nous soyons épargnés, car nous avons eu largement notre content de précipitations et les champs tentent vainement de s'assécher; pour l'instant, ils sont impraticables.

Pendant qu'à l'écurie j'inspecte pour la énième fois le ventre, la mamelle et les parties intimes d'Onni, à la maison André consulte la carte radar sur internet. Nous parvenons chacun à nos conclusions : j'annonce que je m'installerai dans l'écurie cette nuit, l'imminence du poulinage me semblant évidente. André me dit que si nous avons échappé au secteur le plus violent des orages, nous affronterons probablement quelques assauts sous peu. Nous entrons dans la maison pour le repas du soir. Quelques minutes plus tard, les premières gouttes heurtent notre toit de tôles et le tonnerre gronde tout près. Encore quelques instants et c'est le déluge. La pluie drue martèle les fenêtres et nous subissons la colère des cieux. Quelques chevaux se sont mis à l'abri, d'autres, résignés et stoïques, tournent le dos aux vents, têtes baissées, se faisant doucher à grande eau.

Le temps d'expédier notre repas et la pluie a cessé. L'air est lavé de sa lourdeur, un soleil sur le déclin nous offre le spectacle de sa lumière jouant à cache-cache avec les nuages. Moments de grâce.

Je vérifie que nos émetteurs radios fonctionnent et qu'ils sont bien sur la même fréquence. Chacun muni du sien, André et moi allons tout deux rejoindre nos quartiers de nuit : la chambre conjugale pour lui, l'écurie pour moi. Nous testons nos émetteurs en nous souhaitant une bonne nuit tout en subodorant qu'elle sera courte. J'ai l'appareil photo, le téléphone portable, mon livre de référence sur les dystocies, etc. Je suis prête à m'installer au chevet d'Onni.

Dans son grand box de poulinage, Onni manifeste son plaisir de me voir. Elle a bien sa demi-soeur, Alya, pour lui tenir compagnie, mais elle semble plus sereine quand je suis à ses côtés et elle apprécie mes caresses. Une ultime inspection qui confirme mes doutes. Il est temps de lui tresser la queue puis de lui faire quelques câlins supplémentaires. J'installe ensuite mon lit pliant contre la porte de son box. Elle peut ainsi venir me sentir et me chercher si besoin. Minette, la chatte de l'écurie, est ravie de l'aubaine ! Elle peut se coucher avec moi et son ronronnement en dit long sur son contentement. Évidement, Frimoos et Jules sont aussi de la partie. Il est hors de question de laisser leur humaine dans des conditions si inhabituelles ! Il est 21h passé. Allongée sur le dos, les yeux fermés, je me repais de sensations : le bruit régulier et berçant des deux juments mastiquant leur foin, l'odeur réconfortante des chevaux, des copeaux et du foin mêlés, la soie du poil de Jules sous la main droite, les vibrations ronronnantes de Minette installée sur mes pieds, les douces oreilles de Frimoos sous la main gauche... Onni vient me toucher le front de ses naseaux de velours : oui ma belle, je suis là... La journée a été longue et je m'endors.

22h15 Onni gratte le sol de son antérieur. Elle tourne en rond, soupire, re-gratte. Tous les sens en éveil, je suis attentivement ces manifestations d'inconfort tout en enregistrant l'heure mentalement. 22h18, Onni perd les eaux. Je lui dis que je suis là, que tout va bien, et j'appelle André avec mon émetteur radio. Frimoos est couchée en boule dans le box d'Alya, mais son regard ne me quitte pas. Je lui dis de rester là, tranquille. Encore un coup d'oeil à Onni et je m'empresse de replier mon lit et de le sortir. Puis, munie de mon appareil photo, j'entre dans le box et observe tout en parlant calmement à Onni. Les contractions sont puissantes et, enveloppé de son sac amniotique, un pied est déjà visible. Encore une poussée et le deuxième apparaît. Bon, a priori, tout se passe normalement.

Onni se couche...


 22h27 Afin de pouvoir passer le passage étroit, le poulain se présente dans la position d'un plongeur, mais les épaules sont de biais afin d'être moins large, ce qui fait qu'un pied est plus avancé que l'autre. Le bout du nez ne va pas tarder à apparaître...




 22h34, après de nombreux efforts et une jument qui s'est levée et recouchée sur l'autre flanc (pour repositionner son poulain), les épaules passent et tout le poulain glisse vers l'extérieur. Sa tête est bien dégagée et il commence à respirer. Ses postérieurs sont toujours dans la jument, mais l'expulsion est terminée. C'est l'heure officielle de la naissance.





 Pendant qu'Onni, épuisée, se repose, je frotte énergiquement le cou du bébé avec une serviette et j'essuie ses naseaux et sa bouche. J'en profite pour glisser un doigt sur son palais afin de vérifier qu'il n'y a pas de fente palatale. Le poulain respire bien et tient sa tête redressée.





 Je vérifie que tout va bien au niveau du cordon et qu'il ne tire pas trop sur le ventre du bébé. Je sors les postérieurs et positionne le bébé de façon à ce que si Onni se levait d'un coup, elle ne risque pas de lui marcher dessus. Le bébé n'a pas encore hennit et je ne suis pas certaine qu'Onni ait réalisé ce qui lui est arrivé et que toute cette douleur a porté fruit... C'est son premier poulain et elle est épuisée, d'autant qu'elle a marché et trottiné toute la journée et le jour d'avant.. J'ai aussi confirmation que mon pressentiment était juste, c'est bien une pouliche !





 Alya, curieuse, inspecte la nouvelle venue. Onni se repose toujours, ce qui est excellent. Le cordon a ainsi le temps de se fragiliser et il se coupera d'autant plus facilement lorsque le bébé ou la maman s'agiteront. (Le cordon a naturellement une partie plus fragile, un peu comme des pointillés, à une dizaine de cm du ventre du bébé, où il se rompt aisément).





Aucun signe d'agressivité chez Alya. Elle est tout simplement curieuse...






 Comme une chrysalide sortant de son cocon, Hazelle déplie gauchement ses longues jambes et tente de se lever. Cela ne fait que quelques minutes qu'elle a vu le jour !





 Ce premier effort a été bien fatigant, alors on fait une petite pause...






 La deuxième tentative (et la chute qui s'ensuit) a finalement réveillé Onni qui découvre avec tendresse et stupéfaction cette petite «alien» toute mouillée ! Elle commence immédiatement à la lécher et ne la lâchera plus au point d'en être encombrante pour la petite ! Elles s'imprègnent ainsi des odeurs de l'une et l'autre qui leur permettront de toujours se reconnaître. Pendant ce temps, nous enlevons toute la litière souillée afin de la remplacer par une litière neuve et sèche, dépourvue de poussière.





 La séance de débarbouillage ne s'interrompt pas, malgré les tentatives de la petites pour y échapper et se redresser. Ses jambes sont interminables et elles ont la fâcheuse tendance à s'emmêler...





 Litière propre, Hazelle prête pour une autre tentative...





 Et hop !





Une grosse demi-heure après avoir pris sa
première goulée d'air, la voici debout !




Et douze heures plus tard, voici ses premières foulées de galop !

Les miracles ont eu lieu. Le mystère n'est pas résolu, mais le coeur est content.

Nota Bene Les photos sont parfois sombres et un peu floues, mais il n'est pas question d'utiliser un flash afin de protéger les yeux du nouveau-né.
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12 commentaires :

  1. Séquence émotion! Magnifique récit, comme toujours vous savez trouver les mots qu'il faut au bon endroit...
    C'est très émouvant! Qu'es ce que j'aimerais moi aussi assister à un poulinage... Ça arrivera un jour, mais honnêtement j'aimerais voir une jument du ranch mettre bah un poulain! ^^ =P
    Nous reviendrons! =)

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  2. c'est tout simplement merveilleux...

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  3. Superbe moment, intense en émotion... Rien qu'a lire, je m'y croyais... Pfiouf ! =)

    Mais j'aurais préféré en réel ! =P Une autre fois ! Sur ! ;)

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  4. J,ai bien aimé lire le photo-roman.....c'Est sûr qu'en vrai ça doit être énergisant!
    merci

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  5. De mon désert, je viens de lire ce magnifique récit ! J'arrive justement d'un mini-ranch 5 chevaux et demi! Je ne peux que constater que les chevaux Namaspamoosiens ne sont certainement pas conscients de la chance qu'ils ont !!! Triste vie que celle de leurs congénères vivant sous le dur soleil du désert sans connaitre la verdure et le foin et se nourissant uniquement d'avoine et de paille ... La notion d'éducation éthologique et des murmures dans leurs oreilles ne semble pas faire partie de leur quotidien, les chaines et les fouets sont pour eux trop familiers. Bref, 1 heure de discussion avec ces chevaux étonnés qu'une bipède puisse s'adresser a eux gentiment en dix minutes la confiance était installée mais l'inquiétude restait omniprésente. Voilà alors lire c'est tendres moments fut d'autant plus agréable après cette triste expérience. ( PS. Pourtant le palefrenier maladroit semble adorer ses chevaux mais personne n'a pris le temps de lui montrer comment agir avec eux alors il fait comme fait le patron...)

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  6. Quel récit captivant!! Tout un mystère et quelle passion! Maman Onni sait-elle combien elle est chanceuse d'avoir une amie,une sage-femme (?) comme toi. Et en plus, tu es une excellente rapporteuse ou raconteuse d'événements spécifiques bien appuyés par ces photos saisissantes. Merci
    Louise

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  7. merci isa , quel bonheur
    mj

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  8. et ses 4 demoiselles !!! oups :)

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  9. je n'en reviens pas, j'avais loupé ça !
    Trop cool

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  10. Oh Isa, quelles belles photos! Je suis en retard dans la lecture de ton blog, mais cet article m'émeut, car ça me rappelle la naissance de mon fils (je te confirme que Onni avait raison de restée couchée)!! hihi! Hazelle est vraiment mignonne :)

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    1. Les naissances sont toujours des moments exaltants, teintés d'angoisse et d'inquiétude, mais quel bonheur ! Il n'est jamais trop tard pour les partager ;)

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