Il y a des séries, comme ça. Chez les chevaux, les ennuis viennent souvent par trois et je n'ai aucune idée du pourquoi ni du comment. La loi secrète de l'univers ou la théorie du chaos, je présume. L'une des conséquences a été mon absence de la blogosphère ces dix derniers jours.
Tout a commencé lundi avant-dernier. J'avais fait mon petit billet sur les humains du lundi. Le soleil s'était levé et je m'apprêtais à sortir dans le froid intense : -26°C au thermomètre, -36°C au ressenti sur la peau avec le facteur éolien. Cela semble banal de parler de la météo, mais elle a ici son importance, car sans cette météo de l’extrême, je n'aurais pas d'histoire à vous raconter. Le froid et la neige comme effet papillon...
Nous vivons un des mois de février les plus rigoureux de l'histoire de la météorologie. A priori, le record du mois le plus froid sera battu. Les chevaux le vivent plutôt bien, ce qui m’impressionne toujours. Comme c'est le vent qui est le plus pénible, nous avons déplacé stratégiquement les filets à foin, afin qu'ils puissent choisir celui qui est le plus abrité en fonction du vent dominant du moment. Évidement, nous conservons ces filets toujours pleins, car par de telles températures, les chevaux brûlent les calories au même rythme qu'ils les ingèrent.
Bien nous pris également d'avoir (enfin!) installé un dé-glaceur dans l'abreuvoir ce qui permet aux chevaux d'avoir toujours accès à une eau presque tiède.
Bref, du moment, que nous sommes bien habillés, la routine des soins et de l'inspection se passe sans heurts. Et, à l'abri du vent, le soleil réchauffe vraiment, quand il y en a. L'air est sec, la neige crisse sous les pas, ce sont les joies de l'hiver que, les chevaux et moi, nous avons toujours préférées aux mouches et à la canicule de l'été. Il n'y a que l'appareil photo qui apprécie modérément...
C'est alors que survient la battement d'aile du papillon : à un kilomètre de chez nous, par une route rendue glissante par les conditions hivernales, un automobiliste perd le contrôle de son véhicule et vient faucher un poteau électrique. Le chauffeur sans sort sans trop de mal, mais le courant est coupé et la panne dure trois heures.
Chez nous, pas d'électricité signifie pas d'eau (nous avons une pompe pour le puits), pas de chauffage et pas de dé-glaceur dans l'abreuvoir... Les tuyaux qui se rendent de l'écurie aux abreuvoirs luttaient probablement déjà contre le gel. La non-circulation d'eau pendant trois heures a été le coup de grâce. Au début, je ne me suis pas trop inquiétée. Ce n'est certes pas la première fois que la sortie des tuyaux gèlent et, à force de pratique, nous avons quelques techniques éprouvées pour leur redonner vie. Pas cette fois. Tant de froid et l'absence de neige du mois de janvier a probablement gelé le sol sur plus d'un mètre de profondeur. Nous ne pouvons localiser le bouchon de glace... la lutte contre le temps et la progression de la glace commence.
Je vous épargne la nuit passée dehors à tenter le tout pour le tout, les jours à travailler à établir un système parallèle d'alimentation en eau, la course d'une quincaillerie à une autre, les chauffe-tuyaux neufs qui ne fonctionnent pas et qui obligent à tout recommencer, les va-et-vient en tirant le traineau remplis de bidons d'eau pour abreuver tout le monde, la fatigue, le froid, le manque de sommeil, l'inquiétude, la série de petites frustrations qui font déborder le vase... Six jours d'enfer au pays de la glace. Je vous le dis, mon mari est un saint. Au sixième jour, nous avions un nouveau système d'abreuvement. Temporaire, mais qui fonctionne. Amen.
Ce lundi, j'avoue avoir été trop fatiguée pour me lever à 4h pour rédiger un bout de blogue. D'autant qu'était prévu l'aboutissement d'un projet murit, pesé et appréhendé durant trois ans : la castration de Chimo... Chimo, le papa de si magnifiques et adorables poulains, Chimo qui détient une part de l'âme de Namaspamoos, Chimo l’infatigable sentinelle qui veille et s'inquiète des ses filles, jours et nuits. Chimo qui aura 19 ans bientôt et à qui nous voulons offrir une retraite bien méritée au milieu de ses femmes. Une décision de la raison portée par le coeur.
C'est un mot si laid «castrer». Castrer, c'est bloquer, arrêter, freiner, mutiler... mais, pour un étalon, c'est aussi la promesse de pouvoir vivre au sein de son troupeau et baisser son niveau de stress quotidien. La castration est une chirurgie qui n'est pas sans risques chez un étalon mature. Souriez si vous le voulez, mais j'ai pris le temps d'en parler à Chimo aussi. J'avoue que si nous n'avions pas un vétérinaire aussi consciencieux et en qui j'ai toute confiance, nous aurions probablement abandonné le projet. Mais, voilà, c'est fait. Tout s'est bien passé, Chimo a été adorable. Tous les risques ne sont pas écartés, mais plus les jours passent, plus ils s'amenuisent et moins je fais de mauvais rêves.
Hier matin, mardi, je sors donc voir Chimo et faire ma tournée des chevaux - avec en priorité la surveillance de l'abreuvoir de fortune - ravie à l'idée de pouvoir ensuite rentrer m'asseoir et mettre enfin mon blogue à jour. Chimo va très bien, la plaie est propre, pas de fièvre, pas d'inquiétudes. Je vais ensuite à l'abreuvoir et j'ai le plaisir de voir que Luna et Insy sont en train de boire, j'entends l'abreuvoir qui se remplit au fur et à mesure, pratiquement aucune glace dedans : ouf, ça c'est bon aussi. Il me reste à faire le tour des chevaux, vérifier que tout le monde va bien, qu'ils ont ce qu'il leur faut.
Il fait encore -26°C, mais sans vent, c'est presque le printemps! Le troupeau est calme. La plupart des chevaux font la sieste au soleil levant. Comme le vent est tombé, plusieurs sont loin des abris, au milieu du champs, paisibles. J'ai beau être myope, je vois pourtant qu'il y a un truc qui n'est pas à sa place:
Si, si, regardez bien, derrière Hazelle... (vous excuserez les photos moches du téléphone)
Oui, oui, c'est bien Hélios qui est AVEC les filles et à qui Ankti fait des bisous...
(Notez l'air de Pitchoune et d'Hazelle qui semblent surveiller ma réaction...)
Gros, gros soupir... Comme tout le monde est tranquille et vu l'air épuisé et béat d'Hélios, il n'est pas prêt à faire d'autres bêtises, je m'en vais inspecter les dégâts... D'abord Hélios, car je sais qu'il n'a pas pu se retrouver de ce côté sans avoir arraché une partie de la clôture, donc de se blesser cqfd. Il a une bonne entaille à l'intérieur du bras, quelques contusions. On voit qu'il a eut très chaud. Il tient debout et, quoique raide (sic), il ne boitte pas vraiment; je peux donc passer à la suite de la revue des outrages.
Un des fils de la clôture, vers le fond du champs, est rompu et enfoui sous la neige. Cet état de fait ne date pas d'hier. Toute occupée à travailler sur les problèmes d'abreuvement et sur Chimo, j'ai négligé, une semaine durant, l'inspection des clôtures... et voilà le résultat. Profitant de cet espace et fortement attisé par les bougresses qui ont dû lui dire que Chimo était hors-jeu, Hélios s'est engagé dans l'espace, s'empêtrant dans les cordes électriques et arrachant un poteau en passant. Re-soupir...
Alors qu'Ankti, visiblement comblée, est partie prendre son petit-déjeuner, Pitchoune en profite pour venir tenir compagnie à son prince charmant qui jouit de cette petite présence calme et réconfortante...
Pitchoune n'a jamais été aussi près de son rêve...
Ils ont l'air aussi innocent que l'agneau qui vient de naitre... grrrrr!
Un Hélios épuisé qui a été ravi de plonger la tête dans le licou que je lui présentais et qui me suivit sans rechigner lorsque je le ramenai auprès de sa légitime épouse...
Dans dix jours, je donnerai leur "pilule du lendemain" aux juments fautives. Quelqu'un est intéressé par un poulain d'Ankti et Hélios ou Insy et Hélios? Peut-être même Azarah et Hélios? Les intéressés ont dix jours pour se manifester !
Ça fait donc trois dans la série chaotique et inexorable du battement d'aile du papillon...
«Il peut arriver que de petites différences dans les
conditions initiales engendrent de très grandes dans les
phénomènes finaux. Une petite erreur sur les
premières produirait une erreur énorme sur les
dernières. La prédiction devient impossible et nous avons
le phénomène fortuit... Une cause très petite qui
nous a échappé, détermine un effet
considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous
disons que cet effet est dû au hasard»
Henri Poincaré, 1908.