◊
C'est une histoire d'amour. Et comme toutes les histoires d'amour, les émotions sont exacerbées. Il y a des larmes. Des larmes de joie, des larmes de bonheur, des larmes de tristesse, des larmes d'au revoir.
Cela commence par une rencontre, un coup de foudre ou une séduction subtile. La relation s'établit, on décide de vivre ensemble. On craque pour la douceur d'un regard, le sourire que provoque un frisou, l'arrogance d'une crinière, un port de reine... On apprend à se connaître, à vivre ensemble. L'intimité est telle que l'on se comprend d'un regard. Complicité absolue.
L'amour d'une éleveuse pour ses chevaux; mais qui possède qui ?
Balance entre le cœur et la raison. Choix raisonné de reproducteurs, abandon au coup de foudre et à l'instinct.
Mariages parfois d'amour parfois de raison, poulains qui nous renversent par leur douceur et leur beauté. Ça frise la passion !
Et le temps passe, les pages du calendriers tournent à une vitesse affolante. Bientôt il faudra en accrocher un nouveau sur le mur tout en se disant : déjà ! Et la belle, encore toute jeunette dans notre esprit, se déplace plus doucement, ses articulations sont moins souples, ses galops fous moins fréquents et ses enfants sont eux-mêmes des adultes matures et expérimentés. Faut-il penser à la retraite ?
Adelita aura fait le bonheur de tellement d'humains. Maman stricte et tendre, alliant douceur et fermeté, elle aura élevé et éduqué poulains et humains avec la même rigueur, les baignant dans un océan d'amour, tout en les encadrant avec constance : une poigne de fer dans un cœur de velours... Autistes, handicapés physiques, adultes en perte de confiance, neveu de 3 ans ou grand-mère, Adelita les aura promenés, rassurés, fait sourire. Elle nous a fait rire aux éclats, pleurer d'émotion à la naissance de ses pouliches toutes en jambes et en humour. Elle a accueilli bien des confidences et des larmes versées au creux de son encolure. Impassible tant en balade qu'en manège, elle a accepté les incohérences de ses cavaliers en poussant parfois de longs soupirs. Têtue avec les arrogants, toute douce avec les humbles. Belle Adelita.
Jeudi dernier, nous avons emmené Adelita dans son nouveau chez-soi. Retraite bien méritée, dans un cadre qui devrait bien lui convenir, où elle sera traitée comme une reine et recevra toutes les caresses et les câlins qui lui sont dus, tout en enseignant le langage des chevaux à de nouveaux humains, enseignement exclusif réservé qu'à ces deux-là. Choix raisonnable, décision raisonnée... mais ô combien déchirant ! Cette fois-là, ce sont mes larmes qu'elle a accueillies, avec attention et quelques points d'interrogation au fond des yeux, mais toujours avec son regard si doux.
J'ai passé les trois premiers jours avec elle, dans son nouveau foyer. Le premier jour, elle m’emmenait à la porte de l'enclos, cherchant la remorque qui la ramènerait à la maison et moi, le cœur à l'envers, de lui expliquer que, non, c'est ici qu'elle devra vivre, mais que, promis juré, si elle ne s'y fait pas et qu'elle n'est pas heureuse, je reviens la chercher. Le lendemain l'a trouvé plus tranquille, gérant les trois jeunots avec sa rigueur habituelle. Il faut dire qu'elle est en pays de connaissance : Pimbina a fait le voyage avec elle et Baabul et Camino, les enfants de ses meilleures amies, des petits qu'elle a vu grandir, étaient là pour les accueillir. Samedi, en la quittant, Adelita était paisible et semblait avoir adopté l'endroit. Elle a réalisé qu'elle avait de bons humains, qui savaient la gratter et la caresser, répondre à ses besoins et l'aimer absolument.
Ma raison s'y fait, mais mon coeur soupire...
Cette photo a dix ans déjà !
Ne pas se fier aux apparences ! Même à 15 ans, la belle savait faire preuve d'exubérance !